Le naufrage d’Eloise II sur les côtes de l’île de Sercq, en 1982
31 octobre 1982
« Arrivé Havre Gosselin. Amarré sur bouée.
Pendant la nuit du 30 au 31 le vent est passé de SE à SW et un fond de houle faible pénétrait dans le Havre Gosselin. Plusieurs fois dans la nuit on a veillé le mouillage sans rien constater d’anormal. Vers 4h TU j’ai entendu un raguage léger sous la quille. Je suis immédiatement sorti sur le pont. Le balcon était à 2 mètres de la falaise. Au même moment le bateau a tossé pour la première fois et la houle a immédiatement commencé à le coucher sur le flanc tribord. Tout l’équipage a capelé les ceintures de sauvetage.
Simultanément :
• envoyé un bout sur les rochers pour ramener l’étrave vers le large,
• lancé des fusées,
• gonflé l’annexe,
• rassemblé les affaires,
• envoyé un bout derrière pour essayer de retenir l’arrière, à bras d’hommes debout dans les vagues.
Lorsque le bateau a été définitivement couché, la mer déferlait sur la coque et faisait tosser le bateau à chaque lame. L’équipage a débarqué sans utiliser l’annexe.
Lorsque la mer a commencé à baisser (PM 5h30 TU) on a pu constater que la chaîne de la bouée avait cassé à une dizaine de mètres. Le balcon en heurtant les rochers avait protégé l’étrave. Seul l’hiloire tribord est arrachée. Apparemment la coque n’est pas défoncée et on n’a pas rentré beaucoup d’eau. Le mat est gîté à 2 m de la falaise et n’a pas touché.
Des secours ont été appelés. Le bateau de sauvetage avait été prévenu par quelqu’un qui avait vu les fusées. Il arrive sur les lieus vers 6h30 TU. Après inventaire il part à Guernesey arranger un remorquage puissant pour la marée du soir. Il emmène l’équipage sauf Jean-Marie Micheaux et Jacques Savornin. Nous utilisons la journée à mouiller une ancre au large avec l’orin de 60 m et la chaîne de 30 m, et à amarrer l’arrière avec un bout en double sur un rocher. Vers 15h, Dick Adams et son équipe de pêcheurs préparent un bout élongé vers le large à passer au remorqueur. Nous avons en outre disposé une palette récupérée sur la plage pour servir de défense à l’avant tribord. Vers 16h.30 TU le remorqueur (Girl Betty) se présente. A 17 TU il commence à tirer et dégage l’avant vers le large. Eloise pivote et le grand mat vient heurter la falaise avec la barre de flèche tribord qui cède. Puis sur une vague le bateau pivote davantage et la tête de grand mat vient raguer la falaise perdant la girouette et les feux de mat. La tête de mat arrache à la colline quantité de pierres qui font craindre que le mat ne cède.
Alors l’amarrage arrière cède et dans un grand élan le bateau avance en tournant et l’arrière toujours gîté vient heurter la falaise. Le balcon s’arrache mais joue le rôle d’amortisseur.
Lorsque le bateau est à flot il part d’un seul coup en avant et il faut couper l’orin de l’ancre qui reste sur place. Ensuite il a paru trop hasardeux de rester sur place pour récupérer l’annexe qui a servi à passer les amarres. Dick Adams reste à bord. La barre est dure.
La coque ne paraît pas avoir de dommage important – peu d’eau dans la cale.
Le remorqueur emmène Eloise dans la marina de St Peter’s Port où on le met sur gril.
Il apparaît que la coque à tribord, sous la flottaison, vers le bouchain à 3 ou 4 endroits où le bordé est enfoncé de 1 à 3 cm sur 100 à 200 cm2. La peinture a ragué considérablement.
Les 2 balcons sont arrachés et tordus. Le garde-pied tribord avant, tribord arrière et bâbord avant est arraché. La bouée couronne tribord est partie.
Dès le 1er novembre au matin pris contact avec l’expert d’assurances PERKINS du Marina Services Ltd, agréée par le Comité Français des Assureurs. Il fait venir le chantier de St Sanson pour réparations.
Certifié sincère et véritable pour servir ce que de droit.
Fait à Guernesey le 1 novembre 1982.»
La suite de ce naufrage a connu quelques rebondissements et la copropriété, alors présidée par Raymond Lanos, a bien failli perdre le bateau. En effet, les « sauveteurs » de Guernesey, fidèles à leur ancestrale réputation de flibustiers, ne voulurent pas le restituer aux conditions initialement fixées, qui étaient celles d’un simple remorquage.
Après avoir été remis en état, au moment où je devais retourner dans mon élément, ils ont en effet décrété qu’il s’agissait d’une « fortune de mer », et demandaient de ce fait une indemnité de 80% de ma valeur. Sachant que le montant proposé par l’assurance couvrait à peine le coût des travaux réalisé par le chantier, cela impliquait que les copropriétaires auraient dû racheter Eloise II une deuxième fois !
Il s’en est suivi de sombres et longues tractations entre les pêcheurs, le chantier, la compagnie d’assurance, le gouvernement de Guernesey, à une époque où il y avait un contrôle des changes. Cela a nécessité de fréquents déplacements du Président de la copropriété sur Guernesey.
Finalement, celui-ci a réussi à emporter le morceau en mettant sur la table une somme, collectée auprès des copropriétaires (représentant tout de même près de 30 % de la valeur du navire), en leur disant que « c’était à prendre ou à laisser ».
Devant la réticence des pêcheurs à accepter, il a repris l’argent et leur a laissé l’acte de francisation en leur disant qu’il leur laissait le bateau, mais qu’ils devraient en contre partie payer le chantier, puis il est sorti. Il a rapidement été rattrapé par l’un des pêcheurs qui lui a transmis leur accord pour la proposition de transaction.
Eloise II était sauvé!